EMPLOI

PLEIN EMPLOI : QUAND LE MACRONISME EMPRUNTE LES CHEMINS DE LA NOVLANGUE ORWELLIENNE

Le projet de loi relatif au plein emploi, nouveauté présentée en cette fin de session extraordinaire, semble avoir plus d’intention que de consistance.

S’appuyant sur la réduction du taux de chômage, qui illustrerait la pleine efficacité de la politique menée depuis 2017 par le Gouvernement, le pouvoir entend, avec ce texte, franchir une nouvelle étape.

Il s’agit d’amener le taux de chômage aux alentours de 5 %, ce qui constituerait, selon le consensus des économistes libéraux, le seuil du plein emploi.

Ce qui laisserait tout de même beaucoup de monde en dehors de l’activité économique réelle.

Qu’en est il aujourd’hui ?

Selon les données fournies par Pôle emploi lui même, le nombre de chômeurs à temps plein s’élevait au premier trimestre de l’année à 3 016 000 personnes, et les chômeurs de catégorie B et C permettaient d’ajouter 2,35 millions de personnes en plus…

Le projet de loi fait observer, notamment dans le traitement spécifique des allocataires du RSA qu’il intègre, qu’il y a, sur les listes de bénéficiaires de cette allocation, une bonne partie de non inscrits à Pôle Emploi au sein des 1,9 millions de personnes prises en compte.

La question des inscriptions et radiations à Pôle emploi est assez esentielle d’autant que le projet de loi « Plein emploi » entend inscrire d’office tous les allocataires du RSA sur les fichiers de Pôle emploi.

Le suivi longitudinal des inscriptions a montré, ces dernières années, qu’environ un million de chômeurs faisaient l’objet d’une radiation administrative ou d’une désinscription « administrative » (absence de pointage pour tout dire) sur l’ensemble de l’année civile.

Compte tenu de la part dominante des emplois de courte durée proposés aux privés d’emploi (singulièrement dans le tertiaire marchand), cela n’est guère surprenant, d’autant qu’on compte, tous les mois, sur les dernières années, environ 90 000 réinscriptions rapides sur les fichiers de Pôle Emploi, quasiment autant que les reprises d’emploi avérées qui, sur la période 2018 – 2022, se situent entre 100 et 120 000 en moyenne mensuelle.

Il est donc parfaitement évident que le chiffre officiel des privés d’emploi ne présente qu’une vision incomplète de la réalité du « halo de chômage » qui entoure environ un actif sur huit.

Pour autant, d’autres moyens existent encore pour masquer la réalité du sous emploi dans ce pays dont la moindre n’est pas de considérer que quelques heures d’activité, fût ce sur un emploi de service à la personne, sont représentatives d’un poste de travail effectif.

Ce que l’on pourrait s’attendre à retrouver avec le texte examiné au Parlement qui tend à mettre en place un service national de la garde d’enfants, territorialisé, dispositif qui risque d’ouvrir en grand la trappe aux emplois précaires à temps réduit et bas salaires.

On rappellera aussi ici que le développement de « l’auto entreprenariat », à compter de 2008, a consisté à faire d’un million de « travailleurs indépendants » à temps très partiel autant d’actifs en emploi…

Enfin, on rappellera aussi, comme l’avait pointé l’OFCE (Office Français de Conjoncture Economique), que le choix opéré par le Gouvernement de développer l’apprentissage et la formation en alternance (loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » (LCAP) a généré la conclusion d’un nombre croissant de contrats de ce type, la population concernée atteignant les 980 000 jeunes fin 2022.

Enfin, les projets du Gouvernement sont aussi portés par des faits de plus en plus prégnants.

Rappelons nous ainsi que, lors du débat relatif à la réforme des retraites, la communication gouvernementale évoquait le processus de vieillissement de la population et la réduction du rapport actifs/retraités.

Le rapport annuel du conseil d’orientation des retraites (COR) confirme d’ailleurs cette analyse et indique (je cite)

Au-delà du rapport démographique entre les personnes en âge de travailler et celles en âge d’être à la retraite, il est nécessaire, pour déterminer les nombres de cotisants et de retraités qui influent directement sur la situation financière du système de retraite, de faire des hypothèses sur les évolutions potentielles des comportements d’activité, notamment des femmes et des seniors, et sur le taux de chômage.

La population active recouvre l’ensemble des personnes de 15 ans ou plus susceptibles de contribuer à la production nationale, c’est à dire qui sont soit en emploi, soit au chômage.

En moyenne en 2022, la France compte 30,6 millions d’actifs, dont 28,3 millions occupent un emploi et 2,2 millions sont au chômage.

Depuis 1975, le nombre d’actifs a augmenté quasi continûment, à l’exception de l’année 2020 marquée par la crise sanitaire et économique. Le rythme de progression a néanmoins considérablement ralenti avec l’arrivée à l’âge de la retraite des premières générations du baby-boom à compter de 2006. Le taux de croissance annuel de la population s’élevait en moyenne à +0,7 % entre 1976 et 2005, contre +0,4 % sur la période 2006-2019.

( fin de citation)

Toutes données que confirment l’INSEE et la DARES (le service statistique du Ministère du Travail) dans une note de juin 2022.

Je cite de nouveau

L’évolution de la population active est principalement influencée par celle du nombre de personnes âgées de 15 ans ou plus, ainsi que par la structure de la population par sexe et âge, l’activité étant plus faible parmi les jeunes et les seniors. Les projections de population active s’appuient sur un scénario central de projections démographiques, dont les hypothèses prolongent les tendances passées observées, hors crise sanitaire : un solde migratoire annuel de + 70 000 personnes par an, une fécondité de 1,8 enfant par femme (inférieure à son niveau passé) et un risque de décès par sexe et âge diminuant au même rythme que sur la décennie 2010 (si bien que l’espérance de vie continuerait d’augmenter)

Ces hypothèses conduisent d’une part à une hausse continue de la population de 15 ans ou plus vivant en logement ordinaire, de 2,2 millions entre 2021 et 2070, hausse modérée au regard de son évolution sur les deux dernières décennies (+ 6,1 millions entre 2000 et 2021).

Elles conduisent d’autre part à un vieillissement prononcé de la population : le nombre de personnes âgées de 70 ans ou plus augmenterait de 5,2 millions tandis que celui des moins de 70 ans diminuerait de 3,1 millions. La part des personnes âgées de 70 ans ou plus parmi les 15 ans ou plus passerait ainsi de 18 % en 2021, à 26 % en 2070.

Dès les prochaines années, le nombre des plus âgés accélèrerait sensiblement : + 200 000 par an entre 2020 et 2040, après + 160 000 durant la dernière décennie (2010 2020), en raison de l’arrivée à ces âges des générations nées pendant le baby boom ainsi que de l’augmentation de l’espérance de vie.

Le nombre d’actifs est peu influencé par les hypothèses retenues sur la mortalité puisque les taux d’activité sont très faibles aux âges les plus élevés. En revanche, l’hypothèse d’une baisse de la fécondité dans le scénario central par rapport aux décennies passées jouerait dès 2040, avec une diminution des entrées sur le marché du travail des générations nées au début des années 2020. Enfin, le solde migratoire a un impact à la fois direct sur le nombre d’actifs, mais aussi différé via le vieillissement des personnes qui s’installent durablement sur le territoire et l’activité de leur descendance. Au total, les projections d’ensemble sont relativement sensibles à l’hypothèse prise sur le solde migratoire.

(fin de citation)

Ceci posé, ni les évolutions démographiques ni tous les artifices comptables et divers ne doivent cependant pas tromper : dans le cadre de l’économie française actuelle, où l’investissement industriel semble de plus en plus dépendant de la bonne volonté de sociétés étrangères attentives aux conditions générales «  d’accueil » de la France (infrastructures, formation des salariés, fiscalité, etc …), le plein emploi est encore loin.

Et nécessite en particulier une autre politique du crédit, appuyant singulièrement une politique de formation /reconversion d’une ampleur inégalée et d’un contenu plus audacieux que celle consistant à répondre aux « pénuries de main d’oeuvre » et aux « besoins locaux de l’emploi ».