RETRAITE

RETRAITE : PAS DE TOTEM NI DE TABOU, JUSTE LA TORTURE

On pourrait croire que le débat sur la « réforme des retraites » est somme toute urbain et presque anodin puisque, avec l’objectif d’attirer à soi une partie du mouvement syndical, le Gouvernement a feint de produire quelques avancées sur le sens donné au texte prochainement présenté au Parlement et devant l’opinion séduite et médusée.

A ce stade du débat, rappelons – nous où nous en sommes rendus, au fil des précédentes réformes qui ont, toutes, veillé à « sauvegarder le régime de retraites auxquels nous sommes tous attachés » et qui se sont toutes attachées, finalement, à accroître durée de cotisation et décroître niveau de pensions et de vie.

Oh, attention, les impressions sont souvent trompeuses.

Parce qu’en réalité, quoiqu’on en dise, le niveau des retraites et pensions a constamment progressé depuis la création de la Caisse Nationale d’assurance vieillesse, dans la France de la Libération où tout était à reconstruire, et où le fait de lutter contre la pauvreté des « vieux » a participé au redressement économique et social du pays.

Oui, les retraités de 2023 sont moins pauvres que ceux de 1970, eux mêmes moins pauvres que ceux de 1956 (quand on a créé le minimum vieillesse) et moins pauvres de ceux de 1945.

Oui, ils sont moins pauvres, mais si Balladur n’était pas passé par là, ils seraient assez nettement plus riches…

Au fait qu’un certain nombre de retraités (et notamment des retraitées) vivent encore sous le seuil de pauvreté, s’ajoute désormais le développement d’une masse croissante de salariés sous payés, ce qui pose le problème du financement des retraites d’aujourd’hui (si la base de financement est étroite, comment trouver les recettes?) et, surtout, de la consistance des droits futurs.

Quant les salariés les plus modestes de ce pays tournent en dessous de 17 000 euros annuels de revenus fiscaux, quelle retraite peuvent ils escompter ?

Bon, où en sommes nous ?

Age légal de départ en retraite : 62 ans (réforme Touraine, merci Hollande)

Durée de cotisation pour retraite à taux plein ; 43 ans au terme de la réforme Touraine, mouvement engagé sous Balladur et confirmé par la réforme Fillon de 2003.

(Aparté : il faudra un jour faire le procès de François Fillon dans son action publique. Voilà tout de même un zigue qui a cassé le service public des télécommunications, entrepris la première démolition de la SNCF, attaqué les retraites solidaires, promu la capitalisation et conclu son action, entre autres, par des attaques fondamentales contre le service public de l’éducation, avec son directeur de cabinet, un certain Jean Michel Blanquer avant de couvrir, comme Premier Ministre, la « sociétisation » de la Poste et l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité dont nous constatons ces temps ci les effets ravageurs).

Modalités de calcul de la pension ; les vingt cinq meilleures années et la désindexation des pensions et retraites sur l’inflation (c’est à dire la perte de pouvoir d’achat programmée pour ces revenus), c’est Balladur 1993.

Même si l’affaire peut paraître ancienne, c’est cette réforme qui s’est avérée la plus meurtrière pour la situation sociale et économique des retraités, nonobstant ce que nous avons déjà dit.

Malgré ces embâcles encombrant le fleuve des retraites, ce qui a constitué l’amélioration du niveau global du revenu des retraités et pensionnés, c’est qu’ils ont présenté, pour un certain nombre, et même un nombre certain, des carrières complètes, parfois même des surcotes, avec relativement peu d’accidents de parcours et une promotion sociale globale.

Ce sont les fameux enfants du baby boom entamé durant les dernières années de la Seconde Guerre Mondiale et largement amplifié après la Libération, quand notre pays pouvait encore vivre d’espoir…

Les conventions collectives, le statut de la Fonction Publique, les garanties du droit du travail ont, de manière générale, sécurisé les parcours professionnels (même si du point de vue hommes/femmes, il y avait et il y a encore de la marge) et permis l’atteinte des objectifs généraux du projet d’Ambroise Croizat, visant à faire de la retraite « une nouvelle étape de la vie » et non « l ‘antichambre de la mort ».

On aura remarqué que les atteintes au régime solidaire de retraite vont de pair, depuis une bonne trentaine d’années, avec les attaques menées contre les garanties collectives des travailleurs et travailleuses au quotidien de leur activité.

La mortifère (du point de vue du statut) loi de Montchalin sur la fonction publique, avec sa facilitation forcenée au recrutement de contractuels, de vacataires et de non titulaires divers en est l’une des illustrations les plus éclatantes dans la dernière période.

Elle réduit en effet les êtres vivants, les acteurs du service public, à ne plus être que des chiffres, éléments de l’enveloppe budgétaire octroyée à leur service et/ou leur administration.

L’état de notre Education Nationale en témoigne.

Ceci posé, où en est on pour l’actualité, maintenant qu’Elisabeth Borne, trop bonne, nous a indiqué que le recul de l’âge de départ n’était pas « un totem ».

Sauf que, si j’ai bien suivi, faudra quand même faire entre 42 et 43 ans, d’ici 2030 (année où les effets du baby boom de la Libération sont censés commencer à s’effacer), de cotisation pour partir en retraite à taux plein.

Si on fait 62 ans – 42 ans, on se retrouve avec un début de carrière à 20 ans et même 19 ans pour la dernière génération frappée.

Bon, ne cherchez pas, sauf exceptions et notamment parce que ça couine du côté de la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers, vous pouvez oublier la retraite à 62 ans.

Surtout si vous avez eu l’idée stupide de faire des études, sans passer par la voie de l’apprentissage et de l’alternance, ou sans prendre le temps de vous inscrire à Pôle Emploi, histoire de valider quelques trimestres, même sans gagner le moindre salaire…

Bref, la Première Ministre ne fait rien qu’à habiller d’inacceptable ce qui est une remise en question du droit à pension.

Et tout cela, pourquoi ?

Pour le plaisir de nous faire marner deux trois ans au delà de l’âge légal de liquidation des pensions ?

Nous faire participer au redressement de comptes d’une assurance vieillesse qui n’est d’ailleurs pas vraiment en déficit ?

Non, juste parce qu’il s’agit de maintenir la rentabilité du capital, parce que celle ci exige que les dépenses de retraite soient plafonnées à 14 % du PIB, pour laisser le reste aux actionnaires, autant que possible.

Revenus ou profits, c’est l’enjeu.

Comme souvent.